Origine du créole
Depuis la publication de la première grammaire créole (J. M. Magens, Grammatica over det creolske sprog , Copenhague, 1770), les études portant sur le créole ont considérablement fait progresser la connaissance de cette langue.
Le terme « créole » se rencontre depuis le début de la colonisation française, emprunté au portugais. C’est en effet le mot portugais crioulo, passé au français par l’intermédiaire de l’espagnol, vraisemblablement, qui a donné le substantif créole. Le mot portugais dérive du verbe criar, signifiant élever, nourrir, allaiter et de son participe passé criado, domestique, serviteur, valet. L’emploi du terme en français est attesté dans la région des Caraïbes vers 1670 où il sert à désigner toute personne africaine, européenne ou métissée née et élevée aux colonies. Très vite, sans doute vers 1680-1685, il commence à qualifier « un certain jargon qui n’a que très peu de ressemblance avec la langue portugaise et qu’on nomme langue créole… » (Premier Voyage du sieur de la Courbe fait à la côte d’Afrique en 1685).
La question : qu’est-ce qu’un langage créole; demeure un problème complexe. Les spécialistes s’accordent pour l’instant à caractériser le créole comme système linguistique comprenant trois éléments essentiels : une histoire liée à la colonisation; une structure socio-linguistique évoquant la genèse et le processus de créolisation; un statut et une fonction déterminés dans le continuum social correspondant.
Deux théories ont été avancées pour expliquer la naissance du créole:
La première, se fondant sur des hypothèses monogénétiques, suppose la genèse d’un langage rudimentaire soumis aux nécessités de la communication entre des communautés culturellement disparates dans un cadre colonial. C’est ainsi que le créole haïtien serait né dans l’île de la Tortue au XVIIe siècle, où cohabitaient esclaves africains, flibustiers, boucaniers, corsaires et colons européens.
La seconde théorie propose des hypothèses polygéniques s’appuyant sur l’existence d’une langue-base « africaine-portugaise » ayant pris naissance dans les comptoirs portugais édifiés au XVe siècle sur la côte atlantique de l’Afrique. Cette langue-base a été parlée par les marins lusitaniens, les lanzados, pombeiros et tangomaes, ces pillards intégrés au réseau de la traite négrière parcourant l’Afrique. Un rappel est nécessaire pour comprendre la genèse du créole. Le commerce négrier comportait quatre phases :
la capture des Africains;
le transport par terre des caravanes quand les prises s’effectuaient à l’intérieur;
le stockage des captifs africains dans les entrepôts des comptoirs sur le littoral;
la traversée de l’océan par les captifs emprisonnés dans les soutes des vaisseaux négriers, ces fameuses « bières flottantes » qui naviguèrent du XVe au XIXe siècle entre l’Afrique, ses archipels (Açores, Canaries, Cap-Vert, Sao Tomé, Bijagos), Madagascar et les Caraïbes-Amériques.
C’est au cours de ce processus de capture et de transport qu’a dû naître le créole nécessaire à la communication entre marins et trafiquants européens — d’abord des Portugais, les premiers à exploiter le filon de la traite — et Africains d’ethnies différentes. Après les Portugais qui inaugurèrent la traite négrière au début du XVe siècle, les Anglais, les Français, les Néerlandais, les Danois, les Suédois parvinrent à établir leurs propres comptoirs sur les côtes africaines pour approvisionner en main-d’œuvre servile leurs colonies du Nouveau Monde.
Des termes appartenant aux langues européennes vinrent donc s’agréger à la structure grammaticale du créole africain-portugais. Le missionnaire français Jacques Bouton décrivait vers 1640 le langage employé aux Caraïbes orientales par les Amérindiens des Petites Antilles dans leurs rapports avec les colonisateurs français de l’époque : « Un certain baragouin meslé de François, Espagnol, Anglois et Flamand, le trafic et la hantise qu’ils ont eux avec ces nations leur ayant fait apprendre quelques mots de leurs langues. »
Plus de deux cents langues créoles ou apparentées (pidgin ) ont été enregistrées. Elles sont classées par les spécialistes d’après leurs langues-bases européennes. C’est ainsi qu’on distingue :
1. des langues créoles à base anglaise : créoles de la Jamaïque (bungo , quashee , jagwatalk ), gullah de Charleston, guyanese , sranan (taki-taki ), saramaccan et ndjuka, parlers des nègres des rivières vivant aux Guyanes et toutes les variétés de créole des Caraïbes;
2. des langues à base portugaise au Brésil, au Cap-Vert, kriyol du Sénégal, Guinée-Bissau, Sao Tomé, Príncipe et Annobon ;
3. des langues à base espagnole : kaló de Cuba, papiamento des Antilles néerlandaises, pachuco du sud-ouest des États-Unis, « créoles africains-espagnols » parlés en Colombie, au Venezuela et au Mexique ;
4. des langues à base néerlandaise : negerhollands de Saint-Thomas (îles Vierges, États-Unis) et des variétés africaines — en particulier l’afrikaans;
5. des langues à base de français : Louisiane, Caraïbes francophones (Haïti, Guadeloupe, Martinique, Guyane), Caraïbes anglophones (Dominique, Sainte-Lucie, Grenade, Saint-Vincent, Trinité et Tobago), océan Indien (Réunion, Maurice, Seychelles et Rodrigues).
Il y a en outre des créoles qui se sont développés sur la base d’autres langues comme le calo ou calao des romanichels, le yiddish , le ladino , etc., des créoles amérindiens (jargon chinook et mobilien en Amérique du Nord).
Plusieurs problèmes se posent : la description des structures phonologiques, l’orthographe, la codification, la modernisation et la pédagogie du créole. Le créole a été pendant longtemps le véhicule déterminant d’une symbolique de résistance. C’est la langue de la mémoire collective recueillant un héritage accumulé tragiquement par des générations de nègres, aux Caraïbes par exemple, qui ont pu élaborer une culture orale autour des contes populaires avec des personnages pittoresques (Lapin , Zamba , Bouki , Malice , Colibri , etc.), des veillées mortuaires, des proverbes et des devinettes. C’est peut-être surtout dans la création musicale que s’affirme l’importance du créole, dans les chants et dans la musique ngoka de Guadeloupe où la langue apparaît comme un facteur d’unité rassemblant toutes les composantes culturelles et sociales de l’univers des Caraïbes.
On retrouve l’influence du créole dans la création poétique et il est curieux d’observer comment cette langue circule de manière sous-jacente dans la poésie d’hommes aussi différents que Alexis Léger alias Saint-John Perse, créole de Guadeloupe, Aimé Césaire, nègre de Martinique, et Derek Walcott, originaire de Sainte-Lucie, ou encore dans l’œuvre des romanciers martiniquais Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, co-auteurs, avec le linguiste Jean Bernabé, d’un Éloge de la créolité (1989).
La polémique engagée entre les experts relativement au statut du créole semble dépassée. Les linguistes s’accordent à reconnaître une rupture structurale entre le créole et la langue-base qui en fait une langue à part entière. Le créole répond en effet aux caractéristiques de toute langue : systématicité, complexité et homogénéité ; individualité et intégrité par rapport aux autres langues ; processus de création lexicale interne. Depuis 1976, le Comité international des études créoles organise des congrès qui se réunissent régulièrement dans les différents pays créoles.
Bien que l’accession à l’indépendance, en 1804, ait bouleversé de fond en comble toutes les structures du pays, le français est demeuré langue officielle d’Haïti. Sans doute le créole est-il la langue maternelle de la plupart des habitants, mais l’usage du français, langue de grand prestige culturel, doit manifester, aux yeux de l’étranger, le haut degré de civilisation atteint par les Haïtiens. De plus, à l’intérieur du pays, la maîtrise du français constitue l’un des critères d’appartenance à l’élite nationale. Une telle situation ne pouvait que favoriser la pratique littéraire : la production d’Haïti est, proportionnellement, la plus abondante d’Amérique, après celle des États-Unis. Elle est étroitement liée à l’œuvre de construction nationale, et ne peut donc être que patriotique. En même temps, elle est longtemps restée tournée vers la France (et ce tropisme n’a pas complètement disparu), comme pour recevoir sa légitimation du pays qui est l’arbitre des valeurs littéraires.
Le créole est né du contact des populations déportées durant la période de l’esclavage dans les colonies: maîtres, esclaves, travailleurs contractuels, etc. Il est aussi le résultat de l’apport de diverses langues : indiennes, européennes et africaines, avec une prédominance des patois de certaines régions de France.
Les principaux esclaves africains qui ont apporté leurs langues sont les Wolofs, les Mandingues, les Aradas, les Nagos, les Congolais, les Monomotapas, etc. Ils ont surtout donné au créole des termes liés à la religion vaudou, comme par exemple “wanga” qui signifie “fétiche”.
On peut citer quelques exemples de mots créoles ayant pour origine la langue indienne “taïno” : “jurumu” qui est devenu le “giraumont”, le “koui” qui est “l’ustensile en calebasse”, ou le “kenep”, le fruit du même nom.
En ce qui concerne l’espagnol, on peut mentionner quelques mots tels que : “gagan” qui veut dire “gorge – gosier” tiré de “gargante” ou encore “cabicha” qui provient du verbe “cabecear” qui signifie “somnoler”.
Pour illustrer quelques prédominances françaises, notons le mot “kodenn”, le “coq d’Inde” du centre de la France. Le mot “vakabon” issu de l’ancien français (16e siècle) avec sa signification première de “mauvais sujet et de voyou” qui à encore ce sens en Haïti. Le terme créole “misé” originaire de l’ouest de la France veut bien dire “ne pas se presser, prendre son temps” alors qu’il est compris aujourd’hui dans le sens de “parier”.
Mais de manière générale, le créole détient une majorité de termes du vocabulaire marin français. On peut dénombrer plusieurs types de créoles. Le créole francophone, anglophone, hispanophone et lusophone. Tous dérivés des pays colonisateurs européens.